HISTOIRE
I can't breathe, no one saves me
Happy those early days! when I
shined in my angel infancy,
before I understood this place.
Dossier MM - 13 - 10. Des nombres sur un bout de papier volant.Un dossier parmi tant d'autres qui attendent un acquéreur, comme une espèce de macabre vente aux enchères avec, à la clé, une vie humaine qui ne demande qu'à fleurir. Née sous X, pupille de l'État, Moïra n'est au début rien de plus que ça quand la famille O'Byrne apparaît dans le paysage, tout sourires. Un père, une mère, un frère, que demander de plus quand on est une enfant facilement impressionnable à qui la vie n’a rien donné de plus qu’un lit miteux dans un dortoir bondé ?
Et du haut de ses six ans, les premiers temps sont tout ce qu’elle a toujours rêvé, souhaité dans le secret de ses draps troués. Une chambre rien qu’à elle, des jouets par milliers, de la nourriture à foison -
ce qu’elle veut, même des crêpes pour le petit déjeuner ! -, un compagnon de jeu qui n’a que deux ans de plus qu’elle, qui ne la juge pas pour ses différences et n’a d’yeux que pour elle, ainsi que des parents en apparence aimants.
Ce n’est que très lentement, comme souvent, que survient le changement. Doucement, le rêve se change en cauchemar. Les sourires disparaissent, remplacés par des mines rongées par l’inquiétude. Affaiblie, sa mère d’adoption ne se déplace plus qu’en fantôme dans la vaste demeure, et petit à petit les visites à l’hôpital se font moins espacées, jusqu’à n’être plus qu’une constante dans la vie de famille.
Silencieusement, la mort se fait un nid et emporte tout avec elle.You could've told me that you fell apart,
but you walked past me like I wasn't there
and just pretended like you didn't care.
Un père absent, un frère qui ne la voit plus, voilà tout ce qui reste dans le sillage de la mortalité consumée. Les années s’écoulent alors au compte-gouttes, lourdement, sans que rien ne vienne pour arranger ce paysage dévasté. L’enfant devient une jeune fille et s’accroche malgré tout désespérément, maintient la tête hors de l’eau, ramène les meilleures notes à la maison même si plus personne ne s’y intéresse vraiment.
Il ne lui vient même pas à l’esprit de se plaindre.Aussi est-elle surprise quand son frère, un beau matin, prend la peine de la mettre en garde sur les bruits qui courent. Un rôdeur aurait été aperçu à plus d’une reprise en train de suivre, à la faveur de la nuit, les jeunes femmes isolées du quartier. Apeurée, la demoiselle change ses habitudes, s’appliquant à rentrer plus tôt et à ne pas se retrouver seule à des heures pas possibles.
Bien vite, les murmures se changent en conversations enflammées, puis en cris d’effroi - un premier cadavre est découvert non loin de chez eux, brisé au point de non recognition. Le couperet ne tarde pas à tomber : Moïra est interdite de sortie lorsque son frère n’est pas en sa compagnie. Ne lui reste comme quotidien que l’école et comme vie sociale les amis de son aîné.
Pendant ce temps-là, les corps s’empilent les uns après les autres.The cold black fear is clutching me to-night
and leave the little child who would have prayed,
frozen and sleepless at the thought of death.
Mais comme le veut le dicton, il faut bien que jeunesse se fasse.
Un soir, en ayant assez d’attendre un frère qui ne vient décidément pas la chercher à la sortie de l’université, Moïra décide de partir seule de par les rues et les ruelles. Malheureusement dotée d’un sens de l’orientation déplorable, la jeune femme se perd et erre durant de longues, très longues minutes, avant d’apercevoir une silhouette familière. Sans se poser de questions, confiante, elle la suit.
Quelle erreur.Lorsque des mains rudes s’emparent d’elle, l’empêchant de crier, la rousse panique, se débat, les yeux écarquillés sur un visage qu’elle ne connaît que trop bien.
« Papa ! » hurle-t-elle en percutant une porte qui se referme sur elle, la restreignant dans une petite mansarde dans laquelle se trouvent d’autres filles peu ou prou du même âge qui la dévisagent d’un air mauvais.
« Papa ? » dit l’une tandis que les autres se mettent à chuchoter entre elles.
Les heures qui suivent ne sont plus qu’une attente interminable, incompréhensible, qui se prolongue… se prolonge… et se prolonge encore… jusqu’à ce que les heures deviennent des jours, et qu’à la boule de peur dans son ventre se joignent les cris de famine de son estomac. Aucune des filles n’accepte de lui parler, elle, la fille du Boucher qui les a kidnappées et, lorsque son père reparaît, ce n’est que pour se saisir de l’une d’entre elles, n’accordant qu’un silence résolu à cette fille adoptive qu’il n’a plus désiré regarder depuis la mort de sa femme.
Est-ce ce qui l’a fait couler ? Moïra l’ignore et, au bout de quelques jours supplémentaires, bientôt seule, elle ne s’en soucie plus vraiment.
Quand il vient enfin pour elle, la jeune femme n’est déjà plus que l’ombre d’elle-même, n’ayant pas même la force de résister à ses injonctions, ni même la volonté de protester. Larmes aux yeux, elle se laisse traîner comme une poupée de chiffon, l’esprit déjà mort, à défaut du corps.
« Combien… ? » sanglote-t-elle entre ses lèvres gercées. Seul le silence lui répond, mais elle est assez grande pour faire le compte - trop.
Tuée par celui qui était censé la protéger de tout.
C’est ainsi que se finit sa vie.
Ou tout du moins, c’est comme ça qu’elle aurait dû se finir. Mais la réalité est toute autre.
Saignant, s'étouffant sous les mains paternelles tant vénérées, Moïra perd conscience durant plusieurs minutes avant de revenir à elle, le souffle court, les cheveux défaits, allongée dans une mare de son propre sang. Quelque chose au fond d'elle enfle, gonfle, rempli chaque part de son être pour maintenir en elle la petite flamme vacillante de la vie - et soudainement, dans ses larmes, dans son dernier cri, il apparaît, son sauveur, pour la séparer du Boucher, se jetant de toute ses forces contre celui qui s'est imposé comme l'un des pires serial killers de sa génération. Paniquée, perdue au-delà de ce que les mots pourraient décrire, la jeune femme s'évanouit une fois de plus.
Lorsqu’elle reprend finalement conscience, c’est pour découvrir autour d’elle le blanc immaculé d’une chambre d’hôpital et les mains tremblantes de son frère adoptif serrées autour des siennes. Si le regard est torturé, les larmes ont déjà séché - car voilà plusieurs jours qu’elle est inconsciente, dans le coma, suite aux tortures de leur paternel. Ce dernier, arrêté suite à un accès de folie et la découverte du corps inanimé de Moïra non loin du domicile familial, ne pourra plus lui faire de mal.
Mais le mal est déjà fait.Et la vie reprend son cours, laissant l'étudiante brisée et curieuse de celui qui l'a sauvée et qui maintenant la hante sans cesse, chaque jour, dans son incapacité à se souvenir ne serait-ce que de son visage.
No more fairy tales.Life must go on bravely sailing
Even when our own deepest sea
Have no more tears to bring
C'est la peur au ventre que la vie doit continuer. Seconde après seconde, minute après minute, heure après heure, comme le tic tac lancinant d'une horloge mal réglée - avec pour seule protagoniste une poupée brisée qui cherche à remonter la clef imaginaire se trouvant dans son dos couturé de cicatrices.
Les gens ne l'intéressent plus, c'est tout du moins ce qu'elle souhaite croire.La vie est devenue un fardeau, alors elle décide de plutôt s'intéresser à cette mort qu'elle a frôlée de si près. Si la rouquine ne se démarque pas par sa vie sociale, ses études brillent au firmament et elle termine son cursus de médecine, spécialité médecine légale, avec tous les honneurs qui lui sont dus, avant de déménager sur Dublin où elle se fait engager dans la police scientifique de la ville.
Mais un malheur jamais n'arrive seul.C'est en rentrant de sa première journée de travail que l'Irlandaise se retrouve happée par un brouillard à couper au couteau, au simple détour d'une ruelle qu'elle a pourtant parcouru un nombre incalculable de fois.
Bienvenue à Silent Mists.